Quand la lumière sublime nos étals
Maîtriser la lumière, c’est tout un art. Que ce soit au supermarché du coin pour nous aguicher, pour améliorer la conservation de nos produits ou même faire pousser fruits et légumes, elle est devenue un partenaire incontournable de notre alimentation. Pour le meilleur ?
Lorsque vous faites vos courses dans votre supermarché préféré, avez-vous déjà remarqué que les camemberts ne sont pas forcément éclairés de la même manière que les dorades ? Ou que le jambon que vous venez d’acheter paraît parfois plus terne une fois à la maison ? Afin d’être mis en valeur, chaque type de produit alimentaire nécessite un éclairage particulier. Quels sont les différents leviers mis en œuvre ? Tâchons de faire la lumière sur cette question…
On en voit de toutes les couleurs
La lumière blanche du soleil est composée d’une multitude de couleurs, que l’on peut distinguer lorsqu’un arc-en-ciel apparaît : c’est le spectre visible. Ces couleurs sont en fait l’interprétation par notre cerveau des radiations émises par le soleil, auxquelles correspondent des longueurs d’onde, dont l’unité est le nanomètre (nm). Notre œil est capable de percevoir les longueurs d’onde allant de 380 nm (violet) à 780 nm (rouge). Lorsqu’un objet est éclairé par le soleil, il absorbe une partie des radiations lumineuses et renvoie vers notre œil uniquement certaines longueurs d’onde, qui définissent alors sa couleur. Prenons un objet au hasard : une laitue. Elle nous apparaît verte parce qu’elle absorbe toutes les longueurs d’onde du spectre visible, sauf le vert, que ladite salade renvoie vers notre œil jusqu’à exciter les cônes de notre rétine.
A chacun sa lumière : chaude ou froide
Selon l’heure de la journée, la lumière blanche du soleil n’a pas toujours la même teinte. À midi, elle est plus riche en longueurs d’onde bleues : on dit que c’est une lumière froide. À l’inverse, en fin de journée, elle est plus riche en longueurs d’onde rouges : c’est une lumière chaude. Cette nuance est la température de couleur, exprimée en Kelvin (K).
Spectre de la lumière du jour à midi (à gauche) et au coucher du soleil (à droite)
Source : https://www.energie-environnement.ch/definitions/1369-spectre-lumineux-des-lampes-d-eclairage
Ce principe est exploité dans les éclairages artificiels : un éclairage blanc peut tendre vers le bleuté si sa température de couleur est élevée, ou vers l’orangé si sa température de couleur est basse.
On considère généralement les paliers suivants :
- Blanc chaud (orangé) : moins de 3500 K
- Blanc neutre : 3500 K à 4500 K
- Blanc froid (bleuté) : plus de 4500 K
Illustration de la température de couleur de 1000 K (à gauche) à 10000 K (à droite)
Source : https://www.lampesdirect.fr/temperature-couleur
Les luminaires contenant des diodes électroluminescentes (souvent appelées DEL ou LED), qui équipent désormais une grande partie de nos magasins, sont facilement déclinables par les fabricants en plusieurs températures de couleur. Comment ? Aujourd’hui, le moyen le plus simple et le plus économique d’obtenir de la lumière blanche est d’utiliser une LED monochromatique bleue (autour de 460 nm) recouverte d’une couche de luminophore (aussi appelé « phosphore », par analogie avec le terme anglais), sorte de poudre déposée à la surface de la LED. Le luminophore le plus employé porte le doux nom de « YAG:Ce3+ » pour « Grenat d’yttrium et d’aluminium dopé au cérium ». En traversant cette substance, une portion de la lumière bleue est convertie en couleurs allant du vert au rouge : le spectre de la lumière blanche est ainsi en partie reconstitué. Plus le spectre d’émission de la LED est riche en bleu, plus sa température de couleur est élevée (blanc froid), et inversement. Ce paramètre peut être ajusté grâce à l’épaisseur et à la composition du luminophore.
Spectre d'émission d'une LED blanche
Source : https://leclairage.fr/led/
Mais revenons à nos étals. Les teintes chaudes des pains et pâtisseries, des fromages, des pommes de terre, ou encore des vins sont donc davantage valorisées sous un éclairage « blanc chaud » (température de couleur faible), plus riche en longueurs d’onde jaunes à rouges. À l’inverse, la chair blanche des poissons disposés sur de la glace est bien mieux mise en valeur sous un éclairage « blanc froid » (température de couleur élevée), plus riche en longueurs d’onde proches du bleu.
Mais quel éclairage est appliqué sur les fruits et légumes, dont les couleurs variées vont du rouge des fraises au bleu des myrtilles, en passant par le vert des salades (et ne parlons pas des poivrons) ? Un blanc chaud à neutre convient ; néanmoins, il existe un autre moyen de sublimer les choux de Bruxelles...
Un rendu classé par indice
La lumière blanche du soleil est idéale : grâce à elle, nous pouvons voir toutes les nuances de couleurs du monde qui nous entoure. Cependant, certaines sources de lumière créées par l’être humain ne permettent pas de distinguer correctement ces couleurs : elles peuvent apparaître plus ternes, plus saturées…
Pour caractériser la capacité d’une source de lumière à restituer les couleurs, on utilise communément l’Indice de Rendu des Couleurs, souvent noté IRC (ou CRI en anglais). Il est évalué en comparant des échantillons de couleurs standardisés, selon qu’ils sont éclairés par la source de lumière étudiée, ou par une lumière de référence, de température de couleur identique, telle que la lumière du jour. Plus la différence de couleur est faible, plus l’IRC est élevé. Il est compris entre 0 (rendu inexistant) et 100 (rendu parfait).
Prenons un exemple. Si vous conduisez, vous aurez sûrement déjà remarqué comme les voitures paraissent ternes sous la lumière orangée de certains tunnels. En fait, on a longtemps employé des lampes au sodium basse pression pour l’éclairage des tunnels. Ces lampes ont un excellent rendement ; néanmoins, elles n’émettent principalement que dans une étroite partie du spectre visible : dans le jaune (autour de 590 nm). Par conséquent, un véhicule bleu ne pourra renvoyer aucune longueur d’onde correspondant au bleu, puisqu’il n’en a pas reçu ! Il nous apparaîtra alors en nuances de gris. L’IRC de ce type de lampes est donc mauvais, car seule une partie des couleurs est restituée.
Spectre d'émission des lampes au sodium basse pression
Source : https://leclairage.fr/spectre-sodium-basse-pression/
Si un faible IRC peut suffire pour certaines applications (identifier le véhicule d’à côté, notamment), l’éclairage du rayon fruits et légumes doit quant à lui posséder un IRC idéalement supérieur à 90, capable de valoriser toute la gamme de couleurs présentes sur les étals : assez de bleu pour magnifier les myrtilles, assez de vert pour sublimer les choux de Bruxelles, assez de rouge pour transcender les fraises...
Comparaison d’un IRC 80 et d’un IRC 90
Source : https://www.lighting.philips.fr/consumer/ampoules-led/decouvrez-les-couleurs-fideles-irc-des-led
Les LED ont longtemps eu mauvaise réputation à cause de leur IRC assez peu performant, notamment dans les rouges. Les récents progrès de la recherche dans ce domaine ont permis de mettre au point des luminophores grâce auxquels l’IRC est nettement amélioré. De fait, certaines LED sont équipées d’un luminophore composé d’un empilement de couches capables de filtrer et de transformer successivement les longueurs d’onde émises par la LED bleue, de sorte que la lumière finalement émise offre des rouges saturés. Cette technologie est particulièrement utilisée pour rehausser les teintes rouges de la viande, et ainsi rendre plus appétissants les steaks hachés…
Une meilleure conservation des produits
Outre un aspect visuel plus attirant, ces techniques présentent aussi des avantages en termes de conservation. En effet, l’application de longueurs d’onde spécifiques permet de ralentir les processus biologiques à cause desquels un aliment ne peut pas être conservé trop longtemps sur un étal.
Par exemple, les pommes de terre exposées à la lumière du jour ont tendance à verdir et germer très rapidement, c’est pourquoi il est conseillé de les conserver dans l’obscurité, ce qui n’est pas possible dans un magasin. Plus précisément, les longueurs d’onde correspondant au bleu (400 à 500 nm) et au rouge (600 à 700 nm) activent particulièrement la production de solanine et de chlorophylle, deux substances en cause dans le mécanisme de verdissement. À l’inverse, un éclairage dont le spectre est plus riche en longueurs d’onde proches du vert (autour de 550 nm) ralentit ce processus.
En plus du verdissement des pommes de terre, d’autres mécanismes comme la décoloration de la viande ou le rancissement de certains aliments pourraient être freinés par l’utilisation de paramètres tels que les longueurs d’onde employées, l’intensité de l’éclairage et la durée d’exposition à la lumière.
Mise en valeur ou faux-semblants ?
Si l’éclairage permet de rendre les produits plus attrayants, chacun est aussi en droit de se demander s’il n’est pas un peu dupé sur la qualité des marchandises. Mais, sachant que la plupart des photos des magazines sont retouchées, pourquoi les carottes n’y auraient pas droit ? Il faut souligner le fait que tous les magasins n’appliquent pas ces techniques, et que quel que soit l’éclairage choisi, aucun ne vaudra la lumière du soleil pour évaluer la fraîcheur d’un produit.
En outre, les propriétés de la lumière peuvent être mises à contribution bien avant l’étal. Puisque l’on est capable de freiner le développement des pommes de terre, pourquoi ne pourrait-on pas aussi l’accélérer ? Des recherches sont en cours notamment chez les fabricants, et de plus en plus de cultures sous serres ou de fermes verticales bénéficient désormais d’un éclairage artificiel au spectre optimisé, offrant à la plante les longueurs d’onde les plus utiles pour la photosynthèse, avec à la clé une qualité et un rendement accrus. Reste à savoir si le consommateur adhérera à ces techniques novatrices dans un contexte où sont prônés à la fois le progrès technologique et le retour à des procédés naturels : quid des conséquences à long terme de la consommation de fruits et légumes exposés uniquement à des rayonnements artificiels ? L’avenir et la recherche scientifique nous le diront…
Éclairage LED horticole
Source : https://www.fastconnect.fr/les-avantages-de-la-led-horticole/
Sources :
1. Damien Boyer, Matériaux luminescents pour l’éclairage LED, une solution écoénergétique, 2020, https://www.imt.fr/wp-content/uploads/2020/10/05_Damien_Boyer.pdf
2. Laurent Massol, LEDs blanches – Technologie et mise en œuvre du phosphore, 2008, https://www.led-fr.net/leds-blanches-technologies-a-phosphores-laurent-massol-003b.htm
3. Philippe Parent, Lutte contre le verdissement, https://www.agrireseau.net/pdt/documents/Verdissement.pdf
4. Diodes émettrices de lumière bleue : le prix Nobel de physique 2014, 2016, https://www.refletsdelaphysique.fr/articles/refdp/pdf/2016/01/refdp201647-48p54.pdf
5. IRC : Indice de Rendu des Couleurs, 2019, https://leclairage.fr/irc/
6. Shining a light on why potatoes turn green, https://ag.purdue.edu/stories/podcast/shining-a-light-on-why-potatoes-turn-green/
7. Philips Lighting, https://www.lighting.philips.co.uk/systems/themes/fresh-food
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