LKB1, à la croisée du métabolisme cellulaire et des adénocarcinomes pulmonaires

LKB1, à la croisée du métabolisme cellulaire et des adénocarcinomes pulmonaires

Quel est le point commun entre métabolisme cellulaire, cellules de crêtes neurales et adénocarcinomes pulmonaires ? La réponse tient en 3 lettres et un chiffre : LKB1. Protéine essentielle au développement des cellules de crêtes neurales, notamment via la régulation du métabolisme cellulaire, LKB1 est également un suppresseur de tumeur. Le point sur ses mutations qui affectent la cellule et son métabolisme, rendant possible le développement agressif d’adénocarcinomes pulmonaires…


Le métabolisme cellulaire correspond à l’ensemble des réactions moléculaires au sein des cellules qui lui permettent à la fois de produire l’énergie nécessaire à sa survie et son développement. Cela permet également à la cellule de se protéger de signaux agressifs lorsque cela est nécessaire en provoquant l’arrêt du cycle cellulaire et la mort de la cellule.


LKB1, métabolisme cellulaire…

Le métabolisme est bien souvent modifié en cas de cancers. Des mutations génétiques peuvent permettre à la cellule à l’origine du cancer de survivre en modifiant son métabolisme, alors que tous les signaux externes auraient induit la mort de la cellule normale. De multiples mutations sont possibles, induisant des modifications à différents niveaux du métabolisme pouvant aller jusqu’à ce qu’on appelle une reprogrammation métabolique qui induit des changements importants qui ont un impact global.

Dans certains adénocarcinomes pulmonaires, c’est LKB1 qui est muté. Cette protéine est ce que l’on appelle une kinase. Elle est capable d’enclencher des cascades de réactions dans la cellule en ajoutant un groupement phosphate sur des protéines cibles déterminées, comme AMPK. Au cours du développement de l’embryon, LKB1 régule le développement de plusieurs sous-populations de cellules nommées cellules de crêtes neurales et que l’on retrouve dans l’embryon. Une des voies de régulation de ce développement est la modulation du métabolisme de l’alanine, un acide aminé, par l’inhibition de l’enzyme permettant sa synthèse, l’ALAT, qui permet aux cellules de crêtes neurales de moduler leur différenciation. Ce mécanisme, découvert par une équipe de l’Institut pour l’avancée des Biosciences de Grenoble, a ouvert de nouvelles voies de recherche concernant l’implication des acides aminés dans les processus développementaux. La présence de mutations de LKB1 dans des adénocarcinomes pulmonaires a également suscité des interrogations quant au parallèle possible entre ce qui se produit dans les cellules de crêtes neurales et dans les cellules cancéreuses.


…et adénocarcinomes pulmonaires

Les adénocarcinomes pulmonaires mutés pour LKB1 représentent 8 à 20 % des cas selon les études. Les mutations de LKB1 sont quasi-exclusivement associées à celles de KRAS, une protéine dont les mutations sont oncogéniques, c’est-à-dire qu’elles favorisent les tumeurs. Ces cancers présentent des caractéristiques particulièrement agressives et sont associés à un risque de métastases important ainsi qu’une mortalité très élevée. De nombreux aspects du métabolisme cellulaire sont impactés dans ces cas-là. Les cellules cancéreuses vont notamment développer une dépendance à différentes enzymes comme CPS1 qui induisent in fine une prolifération optimale des cellules cancéreuses. Ces tumeurs vont également être dépendantes de niveaux élevés d’ATP, molécule source d’énergie pour la cellule et utiliser préférentiellement la glutamine, un acide aminé, pour produire cette molécule, ce qui n’est pas la voie majoritairement utilisée par les cellules normales. Parallèlement à ces modifications, la perte de l’expression de LKB1 dans les adénocarcinomes pulmonaires active plusieurs voies métaboliques aux mécanismes d’action complexes (entre autres l’activation de la glutaminase et l’hyperactivation de CREB) qui permettent de détoxifier les cellules du stress oxydant et ainsi rendre possible la survie de la tumeur. L’impact global de la perte de LKB1 sur le métabolisme des cellules d’adénocarcinomes pulmonaires explique donc en partie l’agressivité de ces tumeurs.


L’alanine, un espoir de la recherche

Des équipes de recherche se sont intéressées au métabolisme de l’alanine dans les cancers. L’inhibition d’ALAT induit notamment l’arrêt de la croissance de la tumeur après plusieurs réactions en chaîne. Ce qui est particulièrement intéressant à mettre en parallèle de l’inhibition d’ALAT par LKB1 dans les cellules de crêtes neurales. Si cette inhibition a également lieu en dehors de ce contexte, alors théoriquement, si LKB1 est muté dans les adénocarcinomes pulmonaires, la protéine ne peut plus inhiber ALAT et la croissance tumorale ne peut pas être arrêtée. Cela fait l’objet d’un article scientifique - base de ma thèse -, qui a été soumis dernièrement à un journal.


Identifier de nouvelles cibles pour traiter les adénocarcinomes pulmonaires

Une étude de 2019 a par ailleurs révélé un parallèle entre les mutations génétiques des adénocarcinomes pulmonaires et les observations factuelles du métabolisme des cellules. En montrant que le fonctionnement de certaines voies métaboliques est modifié uniquement en présence de certaines mutations, cela peut permettre à terme de découvrir de nouveaux traitements efficaces en visant ces voies métaboliques en particulier.

Plusieurs molécules font actuellement l’objet d’essais cliniques, plus ou moins en combinaison de traitement déjà sur le marché. On retrouve des inhibiteurs de glutaminase qui empêchent les cellules d’utiliser la glutamine pour produire leur énergie et également la production de glutathion, une molécule hautement antioxydante. Des molécules de la famille des biguanides sont aussi à l’étude. Ces thérapies sont actuellement utilisées pour traiter le diabète. Appliquées dans le cadre des adénocarcinomes mutés pour LKB1 (et KRAS), ces traitements exploiteraient la dépendance à l’ATP des cellules tumorales. Elles vont bloquer sa formation, mais ne seront toxiques que pour les cellules dépendantes, ce qui en ferait tout l’avantage.


Sources


-          Marie Mével. Rôle de la kinase LKB1 dans les adénocarcinomes pulmonaires : régulations métaboliques et activité nucléaire, des mécanismes communs avec ses fonctions développementales. Thèse de doctorat en biologie. Université Grenoble Alpes. 2023.


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4 septembre 2024
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