La mémoire traumatisée
Image par Bianca Van Dijk de Pixabay
Le trouble du stress post-traumatique, ou TSPT, est un trouble psychiatrique qui se développe fréquemment après une expérience traumatisante. Les recherches menées jusqu’à présent ont permis de mieux en comprendre les mécanismes biologiques afin de mettre au point de nouvelles pistes thérapeutiques.
Dès l’Antiquité, les récits de guerre et de bataille relatent la présence de troubles psychiques chez les soldats ayant combattu. Mais ce n’est qu’avec l’avènement de la médecine militaire et le développement de la psychologie qu’ils furent mis en lumière. Le TSPT (trouble du stress post-traumatique) est un trouble anxieux qui se développe des semaines, des mois, voire des années après un événement traumatisant. Les soldats, les victimes et les témoins de guerre, de violences physiques et/ou psychologiques sont particulièrement touchés. L’intrusion de souvenirs du trauma (flashbacks soudains ou cauchemars), les stratégies d’évitement (de lieux, de personnes) pour contrer leurs réminiscences, l’état d’hyperstimulation (hypervigilance, insomnie), ainsi que les troubles de l’humeur et du comportement (apathie, anxiété, troubles de la mémoire et de la concentration) sont caractéristiques du TSPT. Les études épidémiologiques ont montré que suite aux événements terroristes survenus en 2015 en France, jusqu’à 54 % des personnes directement touchées ont développé des troubles de type TSPT.
Mieux comprendre le syndrome du stress post-traumatique
Ce trouble est, entre autres, une dérégulation du circuit de neurones responsable du comportement de peur. Celui-ci est constitué de l’ensemble des connexions entre l’hippocampe, l’amygdale, le cortex préfrontal et l’hypothalamus, au sein duquel deux sous-ensembles existent : un circuit contrôlant l’apprentissage de la peur et l’autre son oubli. Dans le cas d’un TSPT, les réseaux d’apprentissage de la peur sont suractivés au détriment de ceux de l’oubli. C’est à cause du déséquilibre entre apprentissage et oubli qu’une mémoire de peur normale devient une mémoire pathologique. Les études réalisées chez l’homme et l’animal ont montré que le TSPT est lié à la fois à l’hyperactivation de l’amygdale, une région du cerveau qui « code » la valence émotionnelle d’un souvenir, et à l’hypoactivation de l’hippocampe dont la fonction est de coder le contexte d’un événement. Ce déséquilibre entre l’amygdale et l’hippocampe est au cœur de la mémoire traumatique, où l’hypermnésie de certains événements saillants (un son, une odeur ou une sensation) cohabitent avec une hypomnésie du contexte de l'événement empêchant de se rappeler avec exactitude des faits. Dans un tel cas, les souvenirs du trauma surgissent spontanément, même en dehors du cadre du trauma initial. Des études de neuroimagerie ont également observé que le niveau d’activité de l’amygdale corrèle avec la force des symptômes éprouvés.
Figure adaptée de Alexandra Kredlow et al., 2021.
Chez les personnes saines, les régions du cerveau responsables de l’apprentissage de la peur (amygdale, CCA) sont contrôlées par d’autres régions qui permettent de la réguler (dlCPF, vmCPF) et de l’associer à un souvenir précis (hippocampe), ce qui permet une réponse comportementale adaptée à une menace définie (hypothalamus et tronc cérébral). Chez les personnes atteintes du TSPT, la perte de contrôle par le dlCPF et le vmCPF de l’amygdale et du CCA entraîne une hypermnésie de certains éléments du souvenir traumatique. De plus, l’hypoactivation de l’hippocampe induit un déficit de contextualisation, et les éléments entraînant une réponse de peur ne sont plus associés seulement à l’événement traumatique. On parle alors de sur-généralisation de la mémoire, où des faits particuliers ne sont plus associés à un moment et un lieu précis. À cause de ce déséquilibre, l’hypothalamus et le tronc cérébral sont suractivés et induisent des comportements de peur inadaptés et exacerbés. dlCPF = cortex préfrontal dorso-latéral, vmCPF = cortex préfrontal ventro-médian, CCA = cortex cingulaire antérieur.
Les hormones du stress au cœur du développement du TSPT
Notre corps possède deux systèmes contrôlant l’état de défense : le système sympathique et l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS). Le système sympathique est activé en situation d’alerte et entraîne la libération d’un neuromodulateur, la noradrénaline. Lorsque l’amygdale est activée en situation de stress, elle active des neurones sécrétant la noradrénaline, qui est alors libérée en grande quantité dans l’amygdale et l’hippocampe. Elle serait responsable du déséquilibre entre amygdale et hippocampe. On retrouve d’ailleurs souvent chez les patients atteints de TSPT un haut niveau basal de noradrénaline dans le sang, une hypersensitivité de ses récepteurs et une hyperactivation des neurones qui la sécrète. L’axe HHS est un axe de communication entre notre cerveau et notre système endocrinien chargé de produire une hormone de stress : le cortisol. En temps normal, cet axe est régulé par le cortisol lui-même. Quand celui-ci atteint un haut niveau dans le sang, il induit, par rétrocontrôle, l’inhibition de l’axe HHS, diminuant la production de cortisol et permettant de revenir à un état normal. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le niveau de cortisol chez les personnes avec un TSPT est souvent faible. Lors d’un événement stressant, l’action synergique du cortisol et de la noradrénaline au niveau de l’amygdale semble être un des facteurs clés du développement d’un TSPT.
De nombreux facteurs de risques
Les personnes violentées ou abusées, notamment au cours de l’enfance, sont particulièrement vulnérables face au risque de développer un TSPT à l’âge adulte. La génétique (les gènes et les mutations associées) et l’épigénétique (la régulation de l’expression des gènes) sont des facteurs importants. Plusieurs gènes codant pour des récepteurs ou des modulateurs de la réponse au stress montrent des différences significatives chez les personnes atteintes de TSPT, ce qui perturbe la réponse biologique au stress. Selon certaines études, les traumas antérieurs à l’expérience qui ont déclenché un TSPT pourraient affecter durablement l’expression de certains gènes de la réponse au stress, ce qui expliquerait la plus grande prévalence de TSPT chez ces personnes. Plus étonnant, des anomalies génétiques et épigénétiques ont aussi été identifiées sur des gènes impliqués dans l’immunité ou la chronobiologie (cycles du sommeil). De plus, les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes, probablement en raison du rôle des hormones sexuelles dans l’évaluation du risque et la résilience. Enfin, sur le plan neuroanatomique, alors que l’on pensait que la réduction du volume de l’hippocampe était une conséquence du TSPT, de nouvelles études ont conclu l’inverse. Cette anomalie entraînerait un déficit de mémoire contextuelle chez ces personnes, favorisant le risque de développer un TSPT.
Des approches thérapeutiques diverses
Les premières approches thérapeutiques se sont essentiellement focalisées sur l’utilisation d’antidépresseurs, avec un effet limité sur les symptômes de TSPT. Le propranolol, une molécule bloquant les récepteurs à la noradrénaline, a montré des résultats variables sur les symptômes du TSPT, notamment parce que le dosage mais aussi le moment et la durée de la prise du traitement semblent être des facteurs importants nécessitant plus de recherches. Toutefois, pris rapidement après un traumatisme, le propranolol paraît diminuer les risques de développer un TSPT. L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing – reprogrammation et désensibilisation grâce aux mouvements de l’œil) est une thérapie efficace lors de laquelle les patients, accompagnés de leur thérapeute, racontent leurs traumas tout en réalisant de rapides mouvements des yeux. Bien que les mécanismes biologiques impliqués ne soient pas bien connus, on pense que les mouvements oculaires miment ceux de la phase de rêve, lors de laquelle notre cerveau intègre les informations acquises. Cette thérapie permettrait donc au cerveau de traiter de façon saine les informations de l'événementtraumatique afin d’en former un souvenir exact et d’y apporter une réponse saine.
Le recours à certaines drogues, parfois dites hallucinogènes comme la kétamine et la psilocybine, est une approche prometteuse étudiée aux États-Unis. Elle a montré des effets positifs chez des patients souffrant de formes de dépression et d’anxiété sévères. La prise de MDMA (composant psychoactif de l’ecstasy) selon un protocole précis, et accompagnée d’une psychothérapie, montre des effets très encourageants pour soigner le TSPT. En régulant les niveaux de cortisol et de noradrénaline, et en stimulant la libération d’ocytocine, une neurohormone responsable de l’attachement et du sentiment de confiance, la prise de MDMA supervisée permettrait de réguler l’état émotionnel des patients et à leur cerveau de retrouver un état de fonctionnement optimal pour traiter correctement l'événement traumatique. Bien que toujours en phase d’études cliniques, ces recherches pourraient s’avérer essentielles dans le traitement du TSPT.
Le Trouble du Stress Post-Traumatique (TSPT) est un trouble anxieux qui affecte certaines victimes et témoins d’événements graves (guerres, actes terroristes, accidents, violences physiques et psychologiques). Par exemple, près de 54 % des personnes victimes ou témoins des attentats de 2015 en France ont développé un TSPT.
Il se caractérise par l’intrusion de souvenirs du trauma (flashbacks et cauchemars), l’évitement, l’hypervigilance, ainsi que des troubles de l’humeur et de la mémoire.
Il s’agit, en partie, d’une mauvaise mémorisation des différents éléments de l’événement traumatique dû à une dérégulation des circuits de mémorisation de la peur où l’amygdale est suractivée alors que l’hippocampe est sous-activé.
Chez les personnes souffrant de TSPT, les deux hormones du stress que sont le cortisol et la noradrénaline sont dérégulées, ce qui affecte le fonctionnement de nombreuses régions du cerveau.
Les facteurs de risques (psychosociaux, physiologiques, anatomiques, génétiques et épigénétiques) augmentant la vulnérabilité face au développement d’un TSPT sont nombreux.
Plusieurs alternatives existent pour diminuer les symptômes du TSPT, basées sur des traitements médicaux, des thérapies psychologiques/comportementales ou en combinaison.
Sources:
- Alexandra Kredlow M, Fenster RJ, Laurent ES, Ressler KJ, Phelps EA. Prefrontal cortex, amygdala, and threat processing: implications for PTSD. Neuropsychopharmacology. 2022
- De Gregorio D, Aguilar-Valles A, Preller KH, Dov Heifets B, Hibicke M., Mitchell J. and Gobbi G. Hallucinogens in Mental Health: Preclinical and Clinical Studies on LSD, Psilocybin, MDMA, and Ketamine. Journal of Neuroscience. 2021
- Giustino TF, Fitzgerald PJ, Maren S. Revisiting propranolol and PTSD: Memory erasure or extinction enhancement? Neurobiology of Learning and Memory. 2016
- Cain C. K., Maynard G. D., and Kehne J. H. Targeting memory processes with drugs to prevent or cure PTSD. Expert Opinion on Investigational Drugs. 2012
- Pitman RK, Rasmusson AM, Koenen KC, Shin LM, Orr SP, Gilbertson MW, Milad MR, Liberzon I. Biological studies of post-traumatic stress disorder. Nature Review Neuroscience. 2012
- https://www.inserm.fr/dossier/troubles-stress-post-traumatique/
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