La mémoire épisodique connaît tout de vous
Illustration: Prof. Bill Harris Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
C’est une mémoire consciente, verbalisable, qui nous permet de former des souvenirs de moments vécus, de leur contexte et de planifier le futur. Elle est parfois appelée autobiographique car, en quelque sorte, elle vous connaît par cœur. Mais c’est cette forme de mémoire qui est affectée par plusieurs maladies, telle celle d’Alzheimer, les troubles du stress post-traumatique, la schizophrénie et bien d’autres.
Se souvenir oui, mais pourquoi ?
Parce que c’est une question de survie ! Votre mémoire est là pour vous guider afin que votre comportement soit adapté à votre environnement et qu’il soit efficace et sûr. Il peut s’agir de se souvenir de l’organisation du supermarché et éviter ainsi de passer 30 min à chercher un paquet de pâtes. Ou d’éviter un danger : souvenez-vous du jour où tout(e) petit(e) vous avez posé votre main sur la plaque électrique chauffante, et que vous vous êtes brûlé(e). C’est arrivé une fois, pas deux ! De plus, votre mémoire, parce qu’elle est la trace de vos expériences et de vos interactions avec d’autres personnes, participe aussi à la construction de votre personnalité.
Un jour, un épisode
La mémoire épisodique c’est à la fois apprendre, stocker et nous souvenir d’événements particuliers : de notre petit frère qui a grossièrement triché lors d’une partie folle de Monopoly en juillet 1995, à ce super concert entre amis le week-end dernier. Oui mais comment ? Grâce à l’hippocampe bien sûr ! C’est la structure cérébrale au cœur de la mémoire épisodique, et les neurones qui le composent ont pour rôle d’assembler toutes les informations liées à un événement au sein d’un réseau unique. Reprenons l’exemple du concert. Les neurones de l’hippocampe vont acquérir les informations spatiales (la salle de concert X), temporelles (le week-end du 19 mars) et contextuelles (le concert de Y, avec vos amis A, B, C et D). Ainsi, chaque mémoire formée est stockée au sein de l’hippocampe et y laisse une « trace » qui correspond aux modifications biophysiques et biochimiques subies par les neurones du réseau associé à l’événement en question, ici le concert. Ces modifications correspondent à des changements au niveau cellulaire (un neurone dont la structure va évoluer) et au niveau moléculaire (certaines molécules contenues dans ce neurone vont être affectées elles aussi). L’hippocampe est donc une sorte de super bibliothèque qui va assembler les expériences de chaque instant de votre vie dans un livre, lui-même proprement rangé sur une étagère de votre mémoire, disponible et prêt à être rouvert dès que vous devez faire appel à vos souvenirs. En sciences cognitives et neurobiologie, ce réseau propre à chaque mémoire porte le nom d’engramme.
Représentation de l’hippocampe dans le cerveau humain. Les hippocampes sont présents dans les deux hémisphères cérébraux au niveau des lobes temporaux. Source dessin : Servier Creative Art.
Le concept d’engramme et les différentes phases de la mémoire
Le terme engramme a été proposé par le scientifique allemand Richard Semon en 1904 pour parler du substrat biologique permettant l’acquisition, le stockage et le rappel d’une mémoire. Ce phénomène d’engramme est bien étudié dans l’hippocampe (mais aussi dans d’autres régions cérébrales telles que l’amygdale ou le cortex préfrontal). Une fois formé (phase d’acquisition), l’engramme est ancré (phase de consolidation) et entre dans un état non-actif. Cet engramme est réactivé lorsque l’on se souvient (phase de rappel). Reprenons l’exemple du concert. Tout d’abord, une fois les éléments de ce concert stockés dans un engramme, ce dernier va être consolidé. Et puis quelques semaines plus tard, lors d’une conversation, la mention du nom de la salle de concert va réactiver les neurones qui étaient en charge de stocker les informations spatiales de ce concert. L’activation d’une fraction des neurones de l’engramme va permettre la réactivation de l’engramme dans son ensemble qui est alors totalement réactivé. Il peut même être réactualisé si de nouveaux éléments liés apparaissent (par exemple, un de vos amis mentionne une petite impro d’un des musiciens dont vous ne vous souveniez pas initialement, mais qui vous revient et dont vous vous souviendrez dorénavant). L’engramme lié au souvenir du concert est d’abord reconsolidé et revient dans un état non-actif… jusqu’à la prochaine fois.
Selon le concept élaboré par Semon, il existe quatre caractéristiques de l’engramme : la persistance (les changements biologiques induits par l’acquisition d’informations perdurent dans le temps), l’ecphorie (l’activation d’un engramme peut entraîner une réponse comportementale grâce à la présentation d’indices liés à l’événement), le contenu(les informations acquises sont reflétées par ce que contient l’engramme et prédisent précisément les éléments qui peuvent être rappelés), et la dormance (correspondant à un état non actif entre une phase d’acquisition et de rappel). Il est stupéfiant de voir à quel point les prédictions de Semon sont justes, alors que les connaissances sur le cerveau et de sa biologie étaient à l’époque lacunaires.
Schéma représentant les différentes phases de la mémoire épisodique. Chaque mémoire est stockée dans un réseau de neurones qui lui est propre, nommé engramme, au sein duquel les neurones qui le composent exhibent des niveaux d’activité caractéristiques. Ce réseau oscille entre un état actif lors des phases d’acquisition et de rappel, et un état non-actif lors de la consolidation/reconsolidation (schéma inspiré de Josselyn et al., 2015, cf. source).
Donald Hebb et le principe fondateur de la mémoire
Comment se forme le réseau neuronal associé à un événement ? "Neurons that fire together, wire together” (« les neurones qui sont actifs ensemble, se connectent ensemble » en français). Cette phrase de Donald Hebb, neuropsychologue canadien, prononcée en 1949 est peut-être l’une des citations les plus connues en neurosciences, tout simplement parce qu’elle résume une idée fondamentale : les neurones activés simultanément par un même stimulus (le concert) forment préférentiellement des connexions entre eux (et donc un engramme du concert), de façon à ce que dans le futur, l’activation de seulement un petit groupe de neurones de cet engramme (correspondant à une chanson du concert) permette l’activation de tout le réseau de neurones grâce au renforcement de leurs connexions. C’est alors que la mémoire de tout l’événement est réactivée, nous permettant de nous en souvenir dans son entièreté. Selon ce principe, les neurones qui ont renforcé leurs connexions communes harmonisent leur activité, formant ainsi un code, caractéristique de l’événement acquis. Les neurones qui, au moment de l’acquisition, sont les plus facilement activables (on dit « excitables ») sont choisis pour faire partie de l’engramme, et c’est ainsi que chaque mémoire est associée à un réseau de neurones. On parle ici du processus d’affectation de la mémoire.
Les progrès technologiques récents tels que l’optogénétique ont permis de faire de grandes avancées dans la compréhension de la mémoire. Cette technique, qui peut activer ou inhiber un groupe bien défini de neurones, a ainsi validé l’existence de l’engramme, et permis de mieux en comprendre les bases biologiques mais aussi d’ouvrir la voie à une meilleure compréhension des formes pathologiques de la mémoire. En effet, le stress, le vieillissement ou le sommeil entres autres, sont connus pour leurs effets sur la mémoire. Ainsi, les progrès accomplis pour élucider les bases biologiques de la mémoire guident actuellement les chercheurs dans les travaux pour comprendre ses formes maladives et comment des facteurs internes ou externes influent sur nos capacités mnésiques.
Sources:
1. Sheena A. Josselyn, Stefan Köhler & Paul Frankland. Finding the engram. Nature Review Neuroscience. 2015.
2. Donald O. Hebb, D. O. The Organization of Behavior: A Neuropsychological Theory (Wiley). 1949.
3. Leon G. Reijmers et al. Localization of a stable neural correlate of associative memory. Science. 2007
4. Richard Semon. Mnemic Psychology (G. Allen & Unwin). 1923.
5. Adelaide P. Yiu et al. Neurons are recruited to a memory trace based on relative neuronal excitability immediately before training. Neuron. 2014
Commentaire ( 0 ) :
Partager
Catégories
Cela pourrait vous intéresser :
S'inscrire à notre newsletter
Nous publions du contenu régulièrement, restez à jour en vous abonnant à notre newsletter.