Cancer, sur la voie de l'épigénétique

Cancer, sur la voie de l'épigénétique

Le cancer est la première cause de mortalité prématurée en France devant les maladies cardiovasculaires, et la deuxième dans le monde. Des études de séquençage du génome entier ont démontré que les facteurs épigénétiques font partie des éléments les plus fréquemment mutés dans les cancers humains.



Le cancer est une tumeur maligne causée par une multiplication anarchique de cellules. Il est caractérisé par la perturbation des voies critiques qui contrôlent des processus cellulaires tels que la réparation de l'ADN (acide désoxyribonucléique, la molécule de l’information génétique), assurer la survie cellulaire, favoriser la prolifération cellulaire ou induisant la mort cellulaire.



Le cancer, fléau de notre temps

En 2020, selon l’Organisation mondiale de la santé, les cancers auraient été responsables de 10 millions de décès dans le monde. Les cancers représentent en France la première cause de décès chez l’homme et la deuxième chez la femme. En 2023, le nombre total de nouveaux cas de cancer est estimé à 433 000 dont 57 % chez l’homme (ce chiffre a doublé depuis 1990). Chez les enfants et les adolescents, le cancer touche chaque année, en moyenne, 2 200 nouvelles personnes. Les cancers de la prostate, du sein, du côlon-rectum et du poumon sont les cancers les plus fréquents en France.

Dans le monde, on estimait en 2018 qu’un homme sur 8 et une femme sur 11 mouraient de cette maladie, et qu’un homme sur 5 et une femme sur 6 développeraient un cancer au cours de leur vie. Si les chiffres se stabilisent pour les hommes, ils grimpent pour les femmes.

Nombre de nouveaux cas de cancer estimés pour les principales localisations, en France métropolitaine en 2023. (source : https://onconormandie.fr)


Le cancer est souvent dû à des mutations, mais pas seulement. L’épigénétique entre aussi en jeu.



Qu’est-ce que l’épigénétique ?

Nous sommes constitués de cellules, briques de la vie. Chacune de nos cellules possède un noyau qui renferme les instructions pour nous construire et nous faire fonctionner. Ces instructions sont portées par des molécules d’acide désoxyribonucléique ou ADN, constituées d’une succession de bases nucléotidiques (A, T, C et G sur le schéma ci-dessous). Cette succession code les instructions, c’est le code génétique. Les molécules d’ADN sont organisées en chromosomes, chaque chromosome est divisé en gènes, un gène étant une instruction. Chaque chromosome est donc comme un livre de recettes. C’est la génétique.

Pour s’organiser en chromosomes, les molécules d’ADN s’enroulent autour de protéines, les histones.

Description de la structure d'un chromosome (source : Wikipédia)


Pour que les gènes soient disponibles afin de faire fonctionner la cellule, il faut que l’ADN soit accessible. A l’inverse, si une portion d’ADN ne sert pas dans l’immédiat, elle sera enroulée autour des histones. Des facteurs épigénétiques (au-dessus de la génétique) gèrent tout ceci. Ce sont l’ajout de petites molécules à l’ADN ou aux histones qui signalent si l’ADN doit être plus compactée ou plus libre pour être utilisé. L’épigénétique est donc une couche supplémentaire d’information qui va indiquer comment les gènes vont être ou non utilisés.

 

Les changements épigénétiques sont des changements héréditaires (qui se transmettent des parents aux enfants) dans l’expression des gènes sans changements dans la séquence nucléotidique des gènes (la succession de A, T, C et G).

Les mécanismes épigénétiques et leurs effets sur l’organisme (source : https://www.blog-lecerveau.org)


Les changements épigénétiques jouent un rôle important dans le développement du cancer et dans le processus de métastases malignes.

 


La piste de l’épigénétique étudiée

Initialement, on pensait que le cancer était une maladie héréditaire, mais au cours des dernières décennies, les chercheurs ont établi un lien étroit entre facteurs épigénétiques et apparition de tumeurs.

Les progrès des techniques de séquençage à haut débit ont amélioré notre compréhension des mécanismes épigénétiques dans le développement du cancer et a révélé de nombreux biomarqueurs épigénétiques spécifiques au cancer, qui offrent des indicateurs potentiels efficaces pour évaluer le risque élevé de tumeur, faciliter le diagnostic précoce, informer sur les décisions de traitement ou encore sur la prédiction du pronostic.

En effet, des mutations dans certains gènes, y compris les gènes suppresseurs de tumeurs (dont le rôle est de protéger les cellules du cancer) et les proto-oncogènes (qui feront que la cellule deviendra cancéreuse s’ils mutent), contribuent au développement d’un cancer. Cependant, des recherches récentes ont indiqué que des anomalies épigénétiques peuvent également conduire à l'inactivation de gènes suppresseurs de tumeur et l’activation de proto-oncogènes, jouant un rôle crucial dans l'initiation, la progression, l’invasion et la propagation du cancer. Le cancer ne se cache plus uniquement dans la modification du code de l’ADN, mais aussi dans son épigénétique.

 


Epigénétique et traitements

Depuis des dizaines d’années, les chercheurs ont découvert que des changements épigénétiques anormaux pouvaient être utilisés comme biomarqueurs du stade de certaines maladies et la prévision de leur évolution. La réversibilité et la contrôlabilité des modifications épigénétiques fournissent également de nouvelles stratégies pour les maladies précoces, leur prévention et leur traitement. En outre, le développement de médicaments correspondants a également atteint le stade clinique. Ces traitements sont appelés « épimédicaments ».


La modulation de l'épigénome dans divers cancers expose les cellules cancéreuses aux attaques du système immunitaire, augmentant ainsi leur sensibilité aux immunothérapies ou aux thérapies habituelles. Par exemple, dans le cancer du sein, traité par hormones, des résistances aux thérapies apparaissent. Cibler les régulateurs de la chromatine avec de petits composés permettant de recâbler l’épigénome du cancer peut resensibiliser les cellules résistantes à la thérapie endocrinienne ou induisent une sensibilité à de nouveaux traitements.


Dans le cancer de la prostate, l’évolution de la maladie en tumeurs malignes et résistantes aux thérapies dépend également de modifications de la méthylation de l’ADN. Ces découvertes pourraient améliorer les réponses aux thérapies pour les patients grâce à une approche adaptée de médecine personnalisée. De plus, le profil épigénétique pourrait permettre la sélection et l'identification de populations de patients ayant un risque élevé de développer des formes plus agressives de la maladie. Il a été montré que la diminution de certaines protéines gérant l’épigénétique (l’histone acétyltransférase) fait baisser l’expression de certains biomarqueurs dans les tumeurs de la prostate résistantes à la thérapie hormonale, suggérant qu’une combinaison d’inhibiteurs de cette protéine et d’une immunothérapie pourraient améliorer les effets thérapeutiques. Des traitements sont déjà en cours d’essai.

 


Dans l’avenir

Le cancer est une maladie multifactorielle causée par une variation génétique, des dérégulations épigénétiques et des facteurs environnementaux. Depuis des dizaines d’années, la recherche s’est penchée sur l’épigénétique au point de tester et faire approuver certaines molécules thérapeutiques (Azacitidine, Procaïne…).

Les bénéfices cliniques de la thérapie épigénétique seule demeurent inconnus. Cependant, notre compréhension de l'épigénétique des tumeurs s’est élargie, entraînant des progrès dans l’analyse des thérapies épigénétiques dans les essais cliniques. De plus, l’évolution des moyens techniques et l’utilisation de l’intelligence artificielle donne un nouvel élan à la recherche de traitements contre le cancer. Jusqu’où ira cette nouvelle médecine personnalisée et personnalisable ?


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Sources :

1.     Fondation ARC [En ligne] Villejuif. Le cancer en chiffres (France et monde). Publié le 30/09/2024. Cité le 06/12/2024. https://www.fondation-arc.org/cancer/le-cancer-en-chiffres-france-et-monde

2.     Gao Jianjun et al. Research progress and applications of epigenetic biomarkers in cancer. Frontiers in Pharmacology. 2024.

3.     Garcia-Martinez Liliana et al. Epigenetic mechanisms in breast cancer therapy and resistance. Nature communications. 2021.

4.     Institut national du cancer [En ligne] Boulogne-Billancourt. Epidémiologie des cancers. Publié le 03/10/2024. Cité le 06/12/2024. https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Les-chiffres-du-cancer-en-France/Epidemiologie-des-cancers

5.     López Judith et al. Epigenetic and Epitranscriptomic Control in Prostate Cancer. Genes. 2022.

6.     Santé publique France [En ligne] Paris. Cancers. Publié le 24/07/2024. Cité le 06/12/2024. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers

7.     Yu Xinyang et al. Cancer epigenetics: from laboratory studies and clinical trials to precision medicine. Cell Death Discovery. 2024.

Commentaire ( 1 ) :
C
Claire_

mardi 14 janvier 2025

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" Article passionnant et très bien vulgarisé ! Je connaissais vaguement l’épigénétique, mais je n’avais jamais réalisé à quel point elle pouvait jouer un rôle clé dans le développement du cancer. L’idée que des traitements puissent cibler directement ces modifications épigénétiques ouvre des perspectives incroyables pour la médecine de demain. "

10 m
8 janvier 2025
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