Les amphibiens : d’un passé mystérieux à un futur incertain
Grenouilles, crapauds, salamandres… Qui ne les connaît pas ? Mais si l’on parle de sirène, de cécilie ou d’ichthyophis, on entre le plus souvent dans l’inconnu. Petite excursion dans un monde riche et vaste aux origines énigmatiques où pèsent de lourdes menaces.
Les amphibiens actuels, regroupés plus formellement sous le nom de lissamphibiens, sont l'un des groupes de vertébrés les plus nombreux, avec plus de 8 000 espèces actuelles connues. Les amphibiens sont présents sur tous les continents - excepté le continent antarctique -, et dans des environnements allant des mares aux jungles, aux déserts et aux toundras, à l'exception notable des milieux marins.
La sous-classe Lissamphibia est divisée en trois ordres : les anoures (grenouilles et crapauds) avec plus de 7 000 espèces, les urodèles (salamandres, tritons, etc.) avec plus de 600 espèces, et les gymnophiones (cécilies) avec plus de 200 espèces. À la différence des autres tétrapodes (les vertébrés à quatre membres et leurs descendants), les amphibiens sont nécessairement inféodés, au moins en partie, à des milieux aquatiques ou humides, leurs œufs n'ayant pas de membrane imperméable et devant rester humides. Quant à leurs caractères anatomiques, les particularités uniques et diagnostiques de la sous-classe incluent des dents portant deux cuspides, et articulées sur des structures appelées pédicelles, et une structure sensorielle particulière dans l'oreille interne appelée papilla amphibiorum, composée de cellules ciliées. Ils se nourrissent d'arthropodes, de vers, de mollusques, voire d'autres amphibiens. Beaucoup ont des glandes muqueuses, et des espèces pouvant sécréter du poison sont connues dans les trois groupes. Tous les ordres d'amphibiens sont caractérisés par un cycle de vie incluant une phase larvaire appelée têtard, initialement sans membres et portant des branchies, qui se métamorphose progressivement en adulte. La plupart des espèces pondent des œufs, mais certaines espèces au sein de chaque ordre sont vivipares (donnent naissance à des petits déjà formés à qui ils donnent directement des nutriments lors du développement), d'autres sont ovovivipares (les œufs éclosent dans le corps d'un parent).
Les anoures, de drôles d'amphibiens sauteurs
Même s'ils sont généralement parmi les amphibiens les plus reconnaissables, les grenouilles et crapauds ont pourtant une anatomie très particulière, avec une tête courte, une absence de queue et des pattes arrières allongées, correspondant à leur mode de déplacement saltatoire et facilitant également la nage. Cette morphologie dérivée a visiblement été un succès, puisque les anoures représentent la majeure partie de la diversité amphibienne, près de 90 %. Au-delà de la grenouille verte des jardins européens (en réalité une espèce hybride), il existe un foisonnement de formes particulières : crapauds, rainettes arboricoles, dendrobatidés toxiques… La taille des anoures varie de 7 mm (Paedophryne amuaensis de Papouasie-Nouvelle-Guinée) à 32 cm (grenouille Goliath). Connus pour leurs chants, grenouilles et crapauds ont de fortes capacités vocales, ainsi qu’une ouïe bien développée. La fécondation des œufs est externe, mais de multiples espèces sont connues pour protéger directement leurs œufs ou les têtards eux-mêmes. De nouvelles espèces de grenouilles sont fréquemment découvertes, avec plusieurs dizaines d'espèces décrites chaque année dans les années 2010.
Dendrobatus auratus, une grenouille vénéneuse
Les urodèles, salamandres, tritons et compagnie
Superficiellement similaires à des lézards en termes de morphologie (qui représente un trait plus ancestral que dérivé), les salamandres ont souvent la forme la plus "conventionnelle" parmi les lissamphibiens, mais n'ont pas moins de caractéristiques surprenantes. Moins cosmopolites que les anoures, les urodèles montrent une diversité particulière en Amérique du nord. La salamandre tachetée ou salamandre de feu et le triton alpestre sont deux espèces européennes emblématiques, mais ce groupe inclut d'autres espèces beaucoup plus insolites comme l'axolotl, le protée anguillard ou les sirènes. Variant en taille de 27 mm (genre Thorius) aux presque 2 mètres de l'impressionnante salamandre géante de Chine, on trouve chez les salamandres de nombreuses espèces sans poumons respirant exclusivement par la peau, ainsi que de nombreuses espèces néoténiques (conservant leur forme larvaire tout au long de leur vie). Les urodèles sont également connus pour leurs capacités à régénérer leurs membres, mais contrairement aux légendes, ne montrent aucune résistance particulière au feu.
feu.
Deux tritons alpestres (Ichthyosaura alpestris) mâles Sirène lacertine (Siren lacertina)
Les cécilies, de curieux amphibiens tout en longueur
Ces animaux fouisseurs (ou aquatiques, pour certaines espèces comme les ichthyophis), de loin les amphibiens les moins connus, ressemblent à des vers ou à des serpents mais sont chassés par ces derniers. Limités aux régions intertropicales, ces amphibiens discrets et méconnus se caractérisent par leur perte totale de membres, leur corps allongé et la possession d'un organe sensoriel tentaculaire situé au-dessus de leur bouche. La plus grande espèce connue mesure 1,5 m.
Mère et petits de Microcaecilia dermatophaga
Des origines fossiles complexes
Il y a plus de 350 millions d'années, une lignée des poissons à nageoires rayonnantes (sarcoptérygiens, comme les cœlacanthes ou dipneustes modernes) s'est progressivement adaptée à une vie partiellement terrestre, donnant ainsi naissance aux tétrapodes. Au sein de la grande diversité "d'amphibiens" au sens large ainsi apparue, on trouve les ancêtres des amphibiens modernes (batrachomorphes), ainsi que d’autres vertébrés terrestres (reptiliomorphes). (Pour atteindre une terrestrialisation complète, il a ainsi fallu attendre l'évolution d'une membrane renfermant l'embryon dans son liquide (l'amnios), menant à l'émergence des amniotes qu'on pourrait définir commes les "reptiles" au sens large (un groupe incluant tous les groupes reptiles actuels et éteints - dont les dinosaures et leurs descendants, les oiseaux -, et les mammifères et leurs ancêtres).
Le monde des amphibiens fossiles inclut une variété de formes encore plus ambitieuse avec des prédateurs géants ayant la forme et la taille de crocodiles actuels (notamment chez les temnospondyles) ou l'étrange Diplocaulus, un lépospondyle au crâne en forme de boomerang
De toute cette diversité, il ne reste aujourd'hui que les lissamphibiens, incluant les amphibiens actuels et un groupe exclusivement fossile, les albanerpetontidés, semblables aux salamandres mais ayant disparu il y a environ 2 millions d'années.
Reconstitution du temnospondyle géant Koolasuchus cleelandi, (jusqu'a 3 m de long) ayant persisté jusq'au début du Crétacé
Reconstitution de l'étrange léponspondyle Diplocaulus magnicornis
La question de l'origine lissamphibienne au sein de cette diversité amphibienne ancienne est depuis longtemps débattue au sein de la communauté paléontologique. Plusieurs hypothèses ont été suggérées, étudiées, et soutenues au fil du temps, avec une opposition entre origine au sein des temnospondyles et des lépospondyles. Complication supplémentaire, certaines études ont suggéré que le groupe des lissamphibiens n'est pas monophylétique (un groupement "naturel" contenant tous les descendants d'un ancêtre commun), mais que les batraciens (grenouilles et salamandres) et les cécilies ont des origines distinctes au sein des temnospondyles et lépospondyles respectivement. Selon les fossiles inclus dans les analyses phylogénétiques et les méthodes utilisées, différents arbres phylogénétiques ont été reconstitués et soutenus comme "plus probables".
Le ver "funky" à la rescousse
L'apport majeur le plus récent vient de la description d'une nouvelle espèce fossile de cécilie décrite dans un article du journal Nature de février 2023, l'espèce fossile la plus complète à ce jour pour le groupe (avec pas moins de 76 spécimens découverts). Découvert dans la localité de Chinle en Arizona, aux États-Unis, Funcusvermis gilmorei (le "Funky Worm", nommé d’après une chanson) est un lissamphibien de la fin du Trias appartenant à la branche des cécilies, mais pas au groupement actuel. Encore doté de membres et de ceintures osseuses associées, il présente anatomiquement une forme intermédiaire entre les cécilies modernes et les ancêtres des lissamphibiens. Remplissant un vide de 70 millions d'années dans le registre fossile quant à l'origine des cécilies, ce fossile permet ainsi de donner la réponse la plus aboutie qu'on ait à ce jour quant à l'origine des amphibiens actuels, confirmant leur monophylie, et établissant leur origine dans le clade des temnospondyles dissorophores tels que Gerobatrachu hottoni, il y a entre 367 et 325 millions d'années. Ce n'est cependant que l'étude la plus récente, reste à savoir si des nouvelles découvertes ne viendront pas à nouveau compliquer le tableau. Cela ne serait pas la première fois que le registre fossile révèle des surprises.
Reconstitution de Funcusvermis gilmorei par Andrey Atuchin
Une diversité menacée
On commence à y voir clair sur l'histoire de ces animaux. Dans le même temps, leur futur est de plus en plus flou. Malgré leur grande diversité, les amphibiens font face à un déclin particulièrement intense de leurs populations. De très nombreuses espèces sont menacées (près d'un tiers, selon un rapport de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature datant de 2006). Ils sont confrontés à de nombreuses menaces : destruction et fragmentation de leur habitat, pollution environnementale, augmentation des radiations UV, changement climatique affectant leurs paramètres physiologiques parfois restreints, et menaces pathogènes, avec notamment une épidémie mondiale de chytridiomycose, une maladie causée par des champignons du genre Batrachochytridium, qui infectent leur peau. Devant ce constat inquiétant, les scientifiques travaillent à de nombreuses solutions : sites protégés, programmes de reproduction en captivité, recherches sur les pathogènes… Mais une prise de conscience globale sur la situation désespérée de ces animaux fascinants est aussi essentielle.
Le protée anguillard ou olm (Proteus anguinus), une espèce vulnérable selon L'UICN
Références
7. Site Encyclopedia of Life, (www.eol.org), (Consulté au plus tard le 29/05/23)
Référence Images
Image de couverture et image 7 par Andrey Atuchin, source Kligman, B. T., Gee, B. M., Marsh, A. D., Nesbitt, S. J., Smith, M. E., Parker, W. G., & Stocker, M. R. Triassic stem caecilian supports dissorophoid origin of living amphibians. Nature. 614(7946), 102-107. (2023) sous licence Creative Commons 4.0
Image 1 : auteur "the lord of allosaurs" sur Wikimedia Commons
Image 2 : auteur Aihartza sur Wikimedia Commons, sous licence art libre (http://artlibre.org/licence/lal/en/)
Image 3 : auteur Qualiesin sur Wikimedia Commons
Image 4 : Wilkinson, M., Sherratt, E., Starace, F., & Gower, D. J., A new species of skin-feeding caecilian and the first report of reproductive mode in Microcaecilia (Amphibia: Gymnophiona: Siphonopidae). PLoS One, 8(3), e57756, . (2013).
Image 5 : auteur Tim Bertelink sur Wikimedia Commons
Image 6 : auteur Entelognathus sur Wikimedia Commons
Image 8 : auteur Arne Hodalič sur Wikimedia Commons
Toutes images Wikimedia Commons partagées sous licence creative commons 2.5, 3.0 ou 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)
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